Vie de Jean-Pierre Cotton, physicien au service des polymères
![]() | Jean-Pierre COTTON, décédé le 20 janvier 2016 à l’âge de 74 ans, a été un acteur majeur desétudes de la matière molle par Diffusion des Neutrons aux Petits Angles (DNPA). Il a su tirer parti de deux opportunités, l’une technique, l’autre scientifique. Entré au CEA-SACLAY en 1969, à sa sortie de SUPELEC, il a intégré l’équipe de diffusion inélastique des neutrons du Service de Physique du Solide et de Résonance Magnétique. Il a tout d’abord participé à des études de diffusion critique dans des échantillons magnétiques en utilisant un nouvel équipement installé à la sortie du premier guide de neutrons froids du réacteur EL3. Suite au cours de Pierre-Gilles de Gennes sur la Physique des Polymères à Orsay, il a rejoint Gérard Jannink qui proposait un programme d’études de la conformation des polymères en solution. |
Après les premières mesures, Jean-Pierre Cotton a tout de suite compris la nécessité d’un équipement expérimental adapté et fait réaliser à Saclay en 1973 un détecteur original à anneaux concentriques équipant le premier spectromètre de DNPA. Il a joué un rôle majeur dans la création d’un Groupe de Recherche en Collaboration appelé STRASACOL, réunissant le groupe de neutroniciens de Saclay, des chercheurs du Centre de Recherche sur les Macromolécules de Strasbourg (Professeur Henri Benoît) et du Collège de France (Professeur Pierre-Gilles de Gennes). Les conditions expérimentales optimales et l’expertise scientifique ainsi réunies ont permis d’utiliser pleinement dès 1971 les capacités expérimentales de l’Institut Laue Langevin à Grenoble. Les résultats sur la conformation de polymères dans les années 70 s’enchaînent et seront tous des premières : les polymères en solution (sujet de sa thèse d’état de l’Université Paris VI en 1973), polymères amorphes fondus, polyélectrolytes et copolymères… La méthode de Jean-Pierre Cotton est toujours la même: d’abord identifier le problème, trouver le système adapté pouvant être étudié par DNPA et ensuite mesurer un paramètre qui permettra de répondre à la question. Cette méthode supportée par un travail acharné sera récompensée par le prix du Groupe Français d’études et d’applications des Polymères en 1977, et le prix CEA avec Bernard Farnoux, Mohamed Daoud et Gérard Jannink en 1986.
En 1974, la création du Laboratoire Léon Brillouin (LLB) et l’ouverture des dispositifs expérimentaux aux utilisateurs extérieurs, ont incité Jean-Pierre Cotton à participer à Saclay à un enseignement sur la Spectrométrie Neutronique. Il édite ensuite l’ensemble de ces cours et écrit notamment les fondamentaux de la notion de contraste ainsi que tout le chapitre sur la Diffusion aux Petits Angles qui sera la référence pour tous ses plus jeunes collègues au LLB. En 1980, il effectue un travail théorique sur la conformation des polymères en étoile, connu sous le nom de modèle Daoud-Cotton. Par la suite, avec un petit groupe de chercheurs du Collège, il participe à la mise en évidence de phases bicontinues dans les solutions d’amphiphiles.
En 1984, Jean-Pierre Cotton aborde un nouveau thème de recherche, les polymères cristaux liquides (PCL) et étudie leurs conformations à l’état solide, en phases nématique et smectique. Diverses espèces chimiques de polymères mésomorphes en peigne seront étudiées. Leur dynamique sera aussi décrite à partir de la déformation et la relaxation des chaînes mesurées par DNPA. Par la suite, il entame des travaux visant à vérifier des prédictions théoriques de Pierre-Gilles de Gennes sur la conformation de PCL linéaires et met en évidence l’existence de repliements en épingles à cheveux. Une étroite collaboration avec une équipe de physico-chimistes du Centre de Recherche Paul Pascal (CRPP) conduira à en étudier de nombreuses architectures.
Du début des années 80 à la fin des années 90, il dirige le groupe « Diffusion aux Petits Angles » du LLB et sera le moteur de tous les développements instrumentaux en DNPA de cette période. Il encourage et soutient ses collègues qui évoluent librement dans leurs activités de recherche. Sa méthode de travail sert de modèle et une activité de recherches foisonnante et productive marquera toutes ces années. Il enseigne la variation de contraste, travaille sur la méthode du contraste moyen nul, travaux qu’il détaillera dans deux revues en 1996 et 1999. Il est l’auteur de la méthode de temps de vol donnant les avantages d’une source pulsée à un réacteur (1986), technique largement utilisée en réflectométrie. Il met au point la méthode de mesures absolues par détermination du flux incident. Outre l’enseignement de la DNPA et des polymères, il donne au gré de ses activités de recherche successives des cours sur les colloïdes et les milieux poreux, sur les méthodes et techniques d’étude des interfaces. En 1999, il organise la publication du cours Diffusion de Neutrons aux Petits Angles de l’école thématique de la Société Française de la Neutronique et ouvre la voie à une série de livres. C’est une grande partie de la communauté française en Neutronique qu’il aura contribué à former.
En 2004, il prend sa retraite et son départ est salué par une journée scientifique en son honneur. Avec 120 publications et 8 articles de revue, il a transmis à la communauté de la matière molle un savoir-faire en DNPA. Tous ses collègues sont profondément attristés par sa disparition. Ils se souviendront d’un home agréable dote d’un solide sens de l’humour ayant eu une contribution scientifique majeure dans le domaine de la matière molle.
Annie Brûlet CNRS, LLB – Mohamed Daoud CEA – Bernard Farnoux CEA