Mieux former les enseignants du primaire aux sciences, un enjeu national pour redresser l’éducation scientifique en France
Résumé de l’article publié dans le magazine La Recherche (numéro 575 – octobre-décembre 2023), par la Société Française de Physique. Article complet accessible plus bas
Auteur·ices : Daniel Rouan, Président de la Société Française de Physique (2023-2024), Estelle Blanquet, présidente de la Commission Enseignement de la SFP, Serge Haroche, Prix Nobel de Physique 2012, membre de la SFP et professeur émérite au Collège de France.
Un niveau alarmant en sciences à l’école primaire en France
Les résultats des élèves français en sciences et en mathématiques sont en nette dégradation depuis plusieurs années. Les études internationales TIMSS (2019) et PISA (2018) le confirment : à la fin du CM1, la France se classe avant-dernière des pays de l’OCDE en sciences, juste devant le Chili. En fin de 4e, seulement 3 % des élèves français atteignent un niveau avancé en sciences, contre 10 % en moyenne dans les autres pays développés.
Ces lacunes ne s’arrêtent pas à l’école : elles se poursuivent dans l’enseignement supérieur. Certaines classes préparatoires scientifiques peinent à recruter des étudiants ayant le niveau requis. De nombreux enseignants en première année d’université signalent une baisse préoccupante du niveau scientifique des bacheliers, en particulier en physique.
Une formation scientifique insuffisante des enseignant·es du primaire
Le manque de formation des professeurs des écoles aux disciplines scientifiques est l’un des facteurs majeurs identifié dans cette crise de l’enseignement scientifique. En moyenne, les étudiants en master MEEF (Métiers de l’Enseignement, de l’Éducation et de la Formation), chargés de devenir enseignants en école primaire, bénéficient de 39 heures de formation scientifique au total sur deux ans, dont 13 heures en physique-chimie-astronomie.
Cela représente moins de 1,5 % d’un cursus de 850 heures. À titre de comparaison, les enseignants du primaire en Suède reçoivent près de 600 heures de formation scientifique pendant leur cursus. Ce déséquilibre est amplifié par le fait que la majorité des candidats au concours de professeur des écoles ont un profil littéraire ou en sciences humaines. Par exemple, en 2019, seuls 4,6 % des étudiants inscrits à l’INSPÉ de Paris en master MEEF avaient une licence scientifique.
La défiance envers la science chez les jeunes, conséquence d’un manque d’éducation scientifique
Le manque de culture scientifique ne touche pas seulement les résultats scolaires. Il entraîne aussi une méfiance croissante envers la science chez les jeunes générations. Une enquête IPSOS de 2021 révèle que :
Des jeunes pensent que le réchauffement climatique n’a pas été scientifiquement prouvé
Pense que la Terre pourrait être plate
Doute de la théorie de l’évolution
Ces sont révélateurs d’un manque de compréhension de la méthode scientifique et de la façon dont elle s’assure de la fiabilité des connaissances scientifiques, au risque de mettre en péril la capacité future des citoyens à prendre des décisions éclairées sur des sujets complexes, qu’ils soient climatiques, sanitaires ou technologiques.
Ce faible niveau de pratique s’explique notamment par un sentiment d’incompétence : seuls 18 % des enseignant·es français·es se sentent capables de proposer des activités scientifiques complexes aux meilleurs élèves (contre 53 % en moyenne en Europe), et 45 % seulement s’estiment capables d’aider les élèves en difficulté dans ces matières (contre 68 % ailleurs).
Pourquoi renforcer l’enseignement des sciences dès le primaire ?
Les recherches en didactique montrent que dès l’âge de 4-5 ans, les jeunes élèves sont capables de s’approprier des éléments de scientificité et de développer une première compréhension de la démarche scientifique, comme le test de la reproductibilité et de la robustesse d’une expérience, le fait de donner la primauté à l’expérience, de naviguer entre le monde des représentations et le monde physique (initiation à la modélisation), etc. En outre, les élèves de primaire en France aiment faire des sciences : 90 % d’entre eux souhaitent faire plus d’expériences scientifiques.
Pourtant, d’après l’enquête TIMSS, les enseignants français déclarent ne consacrer que 47 heures par an à l’enseignement des sciences, soit 35 % de moins que les 72 heures prévues dans les programmes. Seuls 2 enseignants sur 10 affirment aborder tous les domaines scientifiques prévus, et 4 sur 10 disent ne jamais ou rarement faire des expérimentations.
Des enseignants français se sentent capables de proposer des activités scientifiques complexes aux meilleurs élèves (contre 53 % en moyenne en Europe)
Des enseignants français s’estiment capables d’aider les élèves en difficulté dans ces matières (contre 68 % ailleurs en Europe)
Objectif : améliorer la formation scientifique des enseignants: 4 leviers concrets
1. Augmenter les heures de formation initiale en sciences
Pour assurer un enseignement scientifique de qualité, il est indispensable d’élever à 220 heures minimum la formation en sciences et technologie dans les masters MEEF. Une attention particulière doit être portée aux étudiants issus de filières littéraires, en leur proposant une formation adaptée et renforcée.
De plus, les sciences doivent devenir obligatoires dans le concours de recrutement des enseignants du primaire. Cela enverrait un signal fort sur l’importance de ces disciplines et inciterait les INSPÉ à adapter leurs programmes.
2. Développer une formation continue efficace
La formation continue est aujourd’hui quasi inexistante et souvent limitée à des modules de 3 heures sous forme de conférences peu interactives. Il faut mettre en place des formations annuelles de 12 heures minimum, articulant appropriation de contenus et de la démarche scientifiques, apports didactiques et outils pratiques, adaptées au niveau de classe de l’enseignant. Une telle approche favoriserait la mise en œuvre directe des ressources présentées en classe et renforcerait la confiance des enseignants.
Un plan sciences national, équivalent à ceux déjà mis en place pour le français ou les mathématiques, est nécessaire : un premier objectif pourrait être que chaque élève réalise au moins deux séquences scientifiques complètes par an, avec une montée en puissance progressive.
3. Développer un réseau structuré de formateurs et formatrices en sciences
Pour accompagner cette transformation, il faut former massivement :
- des formateurs et formatrices en didactique des sciences,
- des conseiller·es pédagogiques spécialisé·es,
- des enseignant·es référent·es en sciences dans chaque école.
Cette pyramide de formateurs et formatrices facilitera une diffusion efficace des bonnes pratiques, via des ateliers de petit groupe, centrés sur l’expérimentation.
4. Impliquer toute la société : familles, chercheurs·euses, institutions
L’enseignement scientifique ne peut reposer uniquement sur l’école. Il faudrait aussi :
- Impliquer les familles : défis à faire à la maison, présentation des projets en fin d’année, participation à des projets de science participative.
- Encourager les chercheuses et chercheurs à intervenir dans les écoles ou à accompagner des classes. Cela suppose de mieux reconnaître ces actions dans leur carrière.
- Renforcer la culture scientifique hors de l’école : centres de culture scientifique, musées, réseaux sociaux, émissions télé dédiées aux sciences, chaînes YouTube validées par des expert·es.
L’Année de la physique 2023-2024, lancée par le CNRS, le ministère de l’Éducation Nationale, la Société Française de Physique et plusieurs institutions partenaires, s’est inscrite dans cette dynamique.
Conclusion – Vers un cercle vertueux de l’éducation scientifique en France
Redonner une place centrale à l’enseignement des sciences dans le primaire exige une volonté politique claire et durable. Il ne suffit pas d’augmenter les heures de cours : il faut aussi revaloriser les carrières enseignants et enseignantes, tant sur le plan salarial que symbolique, et évaluer les compétences scientifiques dans les concours pour garantir un engagement sérieux.
La France doit sortir du cercle vicieux actuel – enseignant·es mal formé·es, élèves mal préparé·es, désaffection des carrières scientifiques – pour entrer dans un cercle vertueux : des enseignant·es bien formés, motivé·es, et capables de transmettre la passion des sciences à des élèves curieux·ses, critiques et engagé·es.