Enquête sur l’évolution des jeunes bacheliers
Une étude à grande échelle menée par la Société Française de Physique, impliquant 5 891 étudiants de première année scientifique issus de différentes filières de l’enseignement supérieur français (universités, classes préparatoires aux grandes écoles, IUT, etc.) réalisée sur neuf ans permet de documenter la compréhension des concepts de physique et la maîtrise des outils mathématiques de base à la sortie du baccalauréat. On observe un niveau de maîtrise bien inférieur aux compétences attendues à la fin du lycée, sur lesquelles les enseignants du supérieur s’appuient pour organiser leurs cours. Une baisse significative des résultats des étudiants est également observée au fil des années. Nous discutons de la nécessité d’adapter les enseignements universitaires de première année aux compétences réelles des étudiants, plutôt qu’à celles supposées acquises.
Niveau des étudiant·es en science : analyse et évolution
Au cours des dernières décennies, les cursus scientifiques français, autrefois plutôt sélectifs, ont connu de profondes transformations. Parallèlement, de nombreux enseignants et enseignantes de première année dans les universités françaises ainsi que des membres de la Société Française de Physique (SFP) signalent un écart croissant entre les attentes traditionnelles envers les étudiants de première année et leur niveau réel en sciences.
Plus précisément, des enseignant·es de première année issu·es de près de quinze universités ont fait part à la commission Enseignement de la SFP de leur difficulté croissante à s’adapter à une population dont le niveau est jugé inférieur à celui attendu, tandis que le ministère de l’Éducation nationale affirme que le programme de lycée (MEN, 2019) est bien adapté à l’enseignement supérieur, voire plus riche scientifiquement que ceux des générations précédentes (Inspection Générale, 2022).
Certaines universités ont mis en place des tests de positionnement pour organiser des cours de soutien, mais il n’existe aucun dispositif national pour suivre l’évolution de la compréhension des concepts de physique et la maîtrise des outils mathématiques de base. Aucune étude de grande ampleur, donc aucune vue d’ensemble consensuelle, n’était disponible.
En 2013, la Société Française de Physique a décidé d’agir en développant un questionnaire en ligne (disponible sur inscription) pour évaluer le niveau d’entrée en sciences dans l’enseignement supérieur et aider les enseignant·es à identifier les difficultés de leurs étudiants et étudiantes. À ce jour, plus de 6 000 étudiant·es de première année, issus de diverses filières universitaires, ont répondu à ce test. Le présent article a pour but de présenter les résultats de cette initiative et d’examiner l’évolution de la compréhension des phénomènes par les étudiant·es sur près d’une décennie.
Contexte français : le baccalauréat et les filières scientifiques
En France, tous les lycéens et lycéennes passent un examen national en fin de terminale : le baccalauréat. Autrefois plutôt sélectif, avec des séries bien identifiées (S pour scientifique, L pour littéraire, etc.), le bac a été réformé en profondeur. L’objectif affiché est que 90 % des jeunes français obtiennent ce diplôme. S’il n’est pas encore tout à fait atteint, le taux de réussite dépasse les 90 % parmi les candidates et candidats (79,3 % pour la classe d’âge de 2023).
Désormais, les séries ont été remplacées par un système de « spécialités » : en première, les élèves choisissent trois spécialités parmi treize, puis en terminale, ils en conservent deux. Par conséquent, un élève ayant choisi Physique-Chimie et Mathématiques n’aura plus de cours de SVT ni de Sciences de l’Ingénieur. Chaque spécialité fait l’objet d’un programme national et d’un horaire spécifique (3h en première, 6h en terminale).
Tout titulaire du baccalauréat peut accéder de droit à l’enseignement supérieur. Comme les capacités d’accueil en licence de physique dépassent généralement le nombre de candidat·es, tout titulaire du bac, quelle que soit sa spécialité, peut y être admis.
Cette voie universitaire, peu coûteuse car financée par l’État, est en concurrence avec d’autres filières plus sélectives :
- Les classes préparatoires aux grandes écoles (CPGE), gratuites mais très sélectives et exigeantes.
- Les écoles d’ingénieurs intégrées, publiques ou privées, avec un cursus de 5 ans.
- Les BTS, formations professionnelles de 2 ans, sélectives et orientées vers l’insertion.
- Les BUT (ex-DUT), formations professionnelles de 3 ans permettant aussi de poursuivre en master.
Le questionnaire en ligne de la SFP
Les dernières données statistiques montrent qu’une faible proportion des élèves ayant suivi un parcours scientifique au lycée choisit l’université pour poursuivre en sciences (Inspection Générale, 2022). Nombre d’entre eux arrivent donc à l’université en tant que choix par défaut, après un refus dans une filière sélective. Ce phénomène, bien que connu, n’avait jamais été documenté à grande échelle à partir de données nationales, notamment celles issues de la plateforme Parcoursup.
Pour pallier ce manque, la Société Française de Physique a mis en place dès 2013 un questionnaire national anonyme sous forme de QCM afin de répondre à deux objectifs ignorés par le ministère :
- Identifier les effets des réformes du lycée sur la compréhension des concepts enseignés en physique ;
- Repérer les difficultés réelles des étudiant·es entrant dans le supérieur.
Les enseignant·es participent sur la base du volontariat ; l’information est relayée par le site de la SFP, ses adhérents et les réseaux d’enseignants en CPGE.
Facile à mettre en œuvre (inscription et création d’une session en moins de 2 minutes), le QCM vise à fournir une vue d’ensemble rapide (1 heure maximum) des connaissances et de la compréhension des étudiants.
Le questionnaire comprend 4 parties :
- mathématiques de base,
- mécanique,
- ondes,
- culture scientifique.
Chaque partie contient des questions courtes, avec la possibilité systématique de répondre « je ne sais pas », et le test est anonyme.
Le contenu du questionnaire est aligné sur les programmes du lycée et validé par la Société Française de Physique, la Société Mathématique de France (SMF)et l’Association des professeurs de physique-chimie (UdPPC). Il s’appuie sur des situations identifiées comme génératrices de difficultés de raisonnement (Viennot, 1996) et s’inspire d’outils existants comme le FCI (1992). Une première version a été testée en 2012 auprès de 20 étudiants de L2, suivie d’échanges pour s’assurer de la bonne compréhension des questions. Malgré l’évolution possible du niveau de langage des étudiants, le test a volontairement conservé les formulations initiales pour permettre une comparaison dans le temps.
Collecte de données
Lancé en 2013, ce questionnaire a été passé par un total de 5 891 étudiants (voir tableau 1), principalement en classes préparatoires aux grandes écoles (4 009) et à l’université (1 882), entre septembre et fin octobre, soit deux à quatre mois après l’obtention du baccalauréat. Bien qu’il ne donne qu’une vue partielle, ce jeu de données constitue, à notre connaissance, le seul panorama disponible sur l’évolution de la compréhension des concepts scientifiques par les élèves à la sortie du lycée.
Les variations d’une année à l’autre sont liées à l’efficacité de la communication de la SFP avec les enseignants de première année et leurs établissements. Le pic de participation en 2020 reflète les inquiétudes liées aux effets du confinement sur les apprentissages.
Questions de mathématiques de base
La première partie (36 questions) commence par des questions simples destinées à rassurer les étudiants : puissances de dix, conversion d’unités, calculs sur polynômes, fractions, dérivées et intégrales de fonctions trigonométriques, logarithmiques ou polynomiales, projections sur les axes, proportionnalité, surfaces et volumes. Exemples :
- Ma1 : n objets coûtent x euros, combien coûtent 6 objets ?
- Ma2 : 1 cm³ correspond à : 1 dL / 1 cL / 1 mL
- Ma3 : La surface d’un disque de rayon R est : 4/3πR³ / 2π / πR²
- Ma4 : Si U = RI et que U est constant, quand R augmente, I : augmente / diminue / reste constant
- Ma5 : Dans un cube de 10 cm de côté, combien de cubes de 1 cm de côté peut-on placer ?
- Ma6 : 1/a + 1/b = ?
Questions sur les ondes
Outre des rappels de connaissances (valeurs des vitesses du son et de la lumière dans l’air), cette partie (15 questions) teste la maîtrise des relations entre fréquence, période et longueur d’onde, les différences entre ondes sonores et électromagnétiques, ou encore des notions comme la diffraction, l’effet Doppler ou la relation énergie/fréquence.
Exemples :
- W1 : Plus un son est fort, plus il se propage vite dans l’air : Vrai / Faux
- W2 : Une onde sonore de fréquence 100 Hz voyage à 300 m/s. Sa longueur d’onde est ?
- W3 : Quand la période d’une onde augmente, sa fréquence augmente : Vrai / Faux
- W4 : Les ondes sonores sont des ondes électromagnétiques : Vrai / Faux
- W5 : Une source sonore qui s’approche rapidement provoque une augmentation de la fréquence perçue : Vrai / Faux
Questions de mécanique
La plupart des 26 questions de cette section portent sur la compréhension de la relativité du mouvement et des trois lois de Newton dans divers contextes, souvent propices aux idées reçues. Comparer les réponses d’un même étudiant à des questions similaires posées dans différents contextes permet d’évaluer la solidité de sa compréhension. Certaines questions visent aussi à vérifier la réactivation de connaissances de base (relation poids/masse, période/longueur d’un pendule, énergie cinétique et travail, définition de l’accélération, etc.).
Exemples :
- M1 : Un enfant est sur un manège tournant à vitesse constante. Pour lui, c’est sa mère sur le banc qui tourne : Vrai / Faux
- M2 : Un passager dans un train lâche son portefeuille. Il tombe : loin derrière lui / loin devant lui / à ses pieds
- M3 : Les forces exercées sur le portefeuille sont-elles les mêmes pour un observateur dans le train et un autre assis dehors ? Vrai / Faux
- M4 : Deux corps de masses différentes subissent la même force dans un référentiel galiléen. Celui ayant la plus grande accélération est : le plus massif / le moins massif
- M5 : Un joueur de football tire dans un ballon. En négligeant l’air, pendant la montée, deux forces agissent sur lui : son poids et une force tangentielle : Vrai / Faux
- M6 : L’attraction du Soleil sur la Terre est beaucoup plus grande que celle de la Terre sur le Soleil : Vrai / Faux
- M7 : Sur une route plane, une personne pousse sa voiture en panne. La force qu’elle exerce sur la voiture est plus grande que celle que la voiture exerce sur elle : Vrai / Faux
- M8 : Un jongleur est dans un tram roulant à vitesse constante. Pour rattraper les balles, il doit les lancer : un peu devant lui / verticalement
- M9 : Même situation mais sur la Lune. Il doit les lancer : un peu devant lui / verticalement
- M10 : Le poids d’une personne de 60 kg sur Terre est environ : 6 N / 60 N / 600 N
Questions de culture scientifique générale
Cette partie (28 questions) couvre à la fois des points du programme de lycée (relation pression/température, pression/altitude, gaz parfaits, changements d’état, transferts thermiques, astronomie), mais aussi des notions jugées fondamentales pour tout élève quittant le système scolaire.
Exemples :
- G1 : Quand l’altitude augmente, la pression atmosphérique augmente : Vrai / Faux
- G2 : La température d’ébullition de l’eau augmente avec l’altitude : Vrai / Faux
- G3 : L’hélium peut être refroidi à –290 °C : Vrai / Faux
- G4 : Une pierre et une plume tombent en même temps sur la Lune : Vrai / Faux
- G5 : Il fait plus chaud en été qu’en hiver car la Terre est plus proche du Soleil : Vrai / Faux
- G6/G7 : Un glaçon / une bouteille de vodka sort du congélateur (–18 °C). Sa température immédiate est : –18 °C / –10 °C / 0 °C
Résultats de l’enquête sur le niveau en science des jeunes bacheliers
Analyse des résultats
Le Ministère de l’Éducation nationale a engagé une réforme majeure du lycée, dont les premiers effets ont été observés à partir de septembre 2021. Cette cohorte a été prise comme référence pour comparer l’évolution des scores des étudiants en physique dans le temps, avant et après la réforme. Les étudiants ont été répartis en quatre groupes de taille équivalente en fonction de leurs scores (inférieur à 49 %, entre 49–59 %, entre 59–70 %, supérieur à 70 %), permettant de suivre leur distribution selon les années.
Résultats globaux : classes préparatoires (CPGE) et universités, 2013–2022
Les tableaux montrent une baisse progressive des scores dans les deux types de formation. Chez les étudiants en CPGE, les meilleurs scores (>70 %) passent de 35 % (2013) à 21,7 % (2022). Inversement, la part d’étudiants ayant moins de 49 % passe de 6,9 % à 17,8 %. Du côté universitaire, la chute est plus marquée : les meilleurs scores (>70 %) chutent de 13,9 % à 5,2 %, tandis que les scores <49 % restent élevés (28,8 % en 2013 ; 34,0 % en 2022).
Répartition des étudiants de CPGE dans les différents groupes et évolution entre 2013 et 2022
En 2013, une grande proportion des étudiants en CPGE obtenait de bons scores, et très peu avaient de mauvais résultats, ce qui était attendu étant donné la nature sélective de leur recrutement (les CPGE accueillant un nombre limité d’étudiants pour une formation intensive les préparant aux concours des écoles d’ingénieurs). L’année 2021, prise ici comme année de référence — à la fois première année d’entrée des élèves issus de la réforme du lycée et année marquée par une scolarité perturbée par la crise du Covid — apparaît comme celle où la proportion d’étudiants ayant les plus faibles résultats est la plus élevée. Alors que la part des étudiants obtenant plus de 59 % de bonnes réponses était importante, elle chute de 68 % en 2013 à 50,2 % en 2022, tandis que celle des étudiants ayant moins de 49 % de bonnes réponses triple quasiment, passant de 6,9 % à 17,8 %.
Répartition des étudiants d’université dans les différents groupes et évolution entre 2013 et 2022
For university students in 2013, there is a large proportion of students with low scores and very few with very high scores. The year 2021 taken as a reference appears to be the year with the most students with the lowest scores. While the proportion of students with more than 59% of correct answers is about 38% in 2013, it falls between 2013 and 2022, to 27.7% (2020 results can not be compared to the others groups due to a very small sample size).
Compréhension des bases mathématiques, 2013–2022
Les six questions de base en mathématiques révèlent que même les compétences élémentaires ne peuvent être considérées comme acquises par tous les bacheliers. Les résultats montrent une baisse significative dans toutes les populations étudiées, en particulier sur des conversions simples (par exemple : 24 % de réussite pour convertir cm³ en mL dans certaines populations).
Compréhension des concepts d’ondes
Les taux de réussite sont comparables à ceux des mathématiques élémentaires. Les baisses sont particulièrement visibles sur des questions pourtant très fréquentes en lycée, comme la relation entre fréquence et période, ou les caractéristiques d’une onde sonore.
Compréhension des concepts de mécanique
Les mêmes tendances sont observées ici, avec une baisse de la robustesse des réponses. Certaines chutes de score sont marquées, en particulier sur des questions concernant les lois de Newton, la relativité galiléenne, ou les interactions entre corps.
En combinant des réponses à plusieurs questions physiquement équivalentes (ex. M2, M8 et M9), on évalue plus précisément la cohérence de la compréhension : seuls 13,7 % des étudiants de 2022 ont donné la bonne réponse à ces trois questions, contre 20,2 % en 2013.
Connaissances générales : stabilité relative
Les résultats sur la culture scientifique générale sont plus stables, voire légèrement en hausse sur certaines questions, notamment celles relatives à l’astronomie ou aux changements d’état. Cependant, des formulations différentes sur des concepts équivalents (ex. G6 et G7) continuent de piéger de nombreux étudiants.
Conclusion sur l’enquête
L’étude confirme que le niveau réel des étudiants et étudiantes entrant à l’université est sensiblement inférieur à celui supposé par les programmes du secondaire, notamment en mathématiques, ce qui complique l’enseignement de la physique si ces lacunes ne sont pas prises en compte.
Une baisse continue des résultats est observée malgré les réformes censées améliorer la situation. L’effet combiné des nouvelles modalités du bac et de la crise Covid rend difficile une évaluation définitive, mais les données 2023, 2024 permettront de déterminer si cette baisse est conjoncturelle ou structurelle.
Sans surprise, les étudiants de CPGE obtiennent de meilleurs résultats que ceux des universités, mais eux aussi voient leurs scores diminuer dans le temps.
Enfin, la compréhension des concepts fondamentaux reste très fragile pour une majorité d’étudiant·es, malgré les efforts de rénovation des programmes. Ces résultats fournissent aux enseignant·es des repères utiles pour adapter leurs pratiques pédagogiques aux difficultés réelles de leurs étudiants.
Une comparaison avec des résultats similaires dans d’autres systèmes éducatifs permettrait d’évaluer la spécificité ou l’universalité de ces constats. Cette investigation reste à mener.
Références
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